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Musiques rurales de Haute-Egypte
Frédéric Lagrange
Ignorées par la puissante industrie du spectacle qui a assuré la domination de l’Egypte sur la scène artistique arabedepuis trois quarts de siècle, les musiques populaires de Haute-Egypte ne sont cependant pas tombées dans le domaine du folklore officiel. S’il est des pans entiers de cette culture musicale qui sont menacés d’extinction, comme la récitation des grandss gestes épiques, d’autres expressions - comme les louanges au Prophète - et la transe du dhikr (ou zikr) jouissent d’une immense popularité. Vivantes, écoutées, pratiquées par des semi-professionnels ou par des artistes reconnus, elles continuent non seulement à se perpétuer et se renouveler, mais aussi à informer la musique citadine de grande consommation, avec laquelle elles entretiennent desrapports de mutuelle fécondation :année après année, des artistes formés aux musiques rurales viennent grossir les rangs des aspirants au vedettariat dont les cassettes circulent parmi les paysans déracinés installés au Caire. Ils passent dans le camp de la variété en conservant en leur voix le parfum de leur ruralité originelle, tandis que des phrases entièrement empruntées à la culture savante, des citations de chants de la légendaire Oum Kulthûm, viennent pimenter la musique des villageois, assurant ainsi la continuité entre les arts de la vallée du Nil.

Les chants liés aux grands événements de la vie - naissances, circoncisions, noces, exorcismes - ont le plus souvent une nature collective, la voix d’un soliste s’élevant au-dessus du choeur. Les instruments de la ville n’ont pu faire oublier ceux des campagnes de Haute-Egypte : des ensembles perpétuent le jeu de la double clarinette arghûl, déjà présente sur les bas-reliefs pharaoniques, qui accompagne les chanteurs de mawwâl, poèmes narratifs regorgeant de savants jeux de mots et de paronomases. Les danses du bâton- tahtîb -, figure imposée des mariages populaires, sont accompagnées du hautbois mizmâr et de
percussions ; la vieille viole à archet rabâba accompagne, outre la geste hilalienne, nombre de chants d’amour et de ritournelles légères.

Mais l’art le plus prestigieux est celui de l’hymnode, le munshid, interprête de la louange au Prophète et aux “Saints”, membres de la famille de Muhammad ou fondateurs d’ordres mystiques auxquels la piété populaire attribue miracles karâmât et pouvoir d’intercession.
Chacun dévelope son style propre : un Ahmad Barrayn compose ses propres textes en arabe dialectal et engage son auditoire dans un voyage initiatique remontant la vallée matricielle du Nil, saluantles saints locaux d’Assouan à Alexandrie, tandis que Ahmad Al-Tûni et ses disciples choisissent les vers les plus enflammés des soufis médiévaux, qu’ils distillent sur un rythme libre, avant d’inviter les percussions à mesurer leur discours, faisant augmenter le tempo degré par degré jusqu’à la jouissance finale, où l’hymnode implore dans de répétitifs madad l’aide des mystiques du passé.
 
 

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